Voici le discours prononcé le 20 octobre 2012 par Frédéric Ohlen, Président de la Maison du Livre de Nouvelle-Calédonie, à l’occasion de l’accueil à la Maison Célières d’Éric Simard, lauréat du prix Livre, mon ami, 2012.
Cher Éric Simard,
C’est « l’histoire d’un mec »… non, finalement, pas d’un « mec », pas même d’un homme, pas même d’un humain peut-être…, car désormais sans parents, presque sans mots, dans un futur où l’improbable est devenu possible, où les petites filles partent en vacances sur la Lune. L’enfaon n’est pas ou n’est plus un enfant : on a dû lui implanter des gènes de cerf pour le sauver. Malgré sa différence, le signe runique de ces ramures qui le couronnent, Leïla l’aime. Comme les cerfs, l’enfaon sent et devine. Il sait de source sûre que un et un font un, qu’on peut être là et absent, que seules les montagnes ne se rencontrent pas. L’enfant a de grands yeux pour voir l’évidence, s’y tenir malgré les regards en coin et les moqueries des esprits forts.
À l’Humanité pataude, aux lourdeurs d’éléphant, l’enfaon réapprend la danse, car il peut prédire la naissance et la mort. Bien sûr, l’enfaon est sans diplôme. Comme l’écrivait maître Eckart, toute « rose est sans raison ». L’esprit n’a pas besoin d’autorisation pour souffler, il nous emporte avec la force intacte de sa poésie, jamais bébête, toujours fraternelle.
En ce temps qui est, ici comme ailleurs, celui de l’invective et de la violence, d’une identité qui fend la foule au lieu de la rassembler, dans un monde où il n’est pas suffisant de réussir, mais où il faut encore enfoncer les autres, nous avons besoin des enfaons pour que nos bois soient bien gardés, pour que tout homme ne renie pas sa part d’intuition et de beauté.
Merci à Éric Simard d’avoir inventé ce nouveau rameau de notre humanité. Les enfants de Nouvelle-Calédonie ne pouvaient qu’apprécier ce personnage proche d’un animal dont on se repaît, qu’on massacre en masse, qu’on tue pour des primes… et qui revêt pourtant la forme des anciens dieux, quand nous n’avions encore pour armes que nos arcs et nos lances…
La part bestiale de l’Homo sapiens n’est pas là où l’on pense… Si Enfer il y a bien, il est dans le rejet de l’autre, quel qu’il soit ou sera. Merci à vous, Éric, d’avoir retissé le fil invisible qui nous unit en dépit des listes, des tableaux Excel, du carcan des nomenclatures obligées. Soyez le bienvenu sur ce sol qui vous honore aujourd’hui. Soyez assuré enfin que nul pays, en cet instant précis de son histoire et de la vôtre, n’aurait pu mieux comprendre votre message
D’ailleurs, je sens déjà… quelque chose pousser dans mes cheveux… quelque chose de puissant et de libre… que j’ai envie de frotter aux arbres et au ciel… et qui m’invite, en me souvenant du livre, à chaque jour qui se lève, à chaque main tendue, à aimer passionnément, obstinément la Vie.
Frédéric Ohlen,
Président de la Maison du Livre.